Visite de l'atelier de Sekishû Kachiji Banshi - 2

Publié par Emilie EVEN le

1ère partie du récit ici : Visite de l'atelier de Sekishû Kachiji Banshi - 1

Depuis Kyoto, je me rends pour à peine 24h à Hamada dans la préfecture de Shimane. Arrivée la vieille après 6h de bus, tôt le lendemain, je roule en direction de l'atelier Kaze no Kôbô, traversant les forêts de la région. Sur place, je fais le tour des bâtiments à la recherche de quelqu'un. Je vois 2 gros chats qui dorment dans une pièce. Je continue à faire le tour vers une grange où il y a du monde. 

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"Bonjour, je suis Emilie, je viens voir Sasaki-san".
"Ah, bonjour, c'est moi ! Makoto Sasaki."
Après les salutations d'usage, je suis un peu gauche. C'est toujours pareil : par où commencer la discussion ?
"Je vais vous montrer la boutique." me dit Sasaki-san.
Oui, bonne idée, ça me donnera un aperçu du papier qu'y est façonné.

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On rentre dans la boutique qui expose papiers et historique de l'atelier. Sasaki-san commence sa narration - je sens le discours bien rodé, mais l'historique reste impressionnant. Makoto me raconte qu'il a hérité l'atelier de son oncle (famille Harada) qui n'avait pas de successeur. Aujourd'hui, l'atelier est dirigé par lui et Satomi, sa femme. Tous deux sont deux artisans fabriquant le Sekishû Kachiji Banshi. Makoto est la 6e génération de l'atelier qui remonte probablement à l'époque Muromachi (14e-16e). Ses grand-parents y travaillaient aussi. Seiichi Harada (le grand-père) confectionnait un tissu de washi qui fut reconnu par Soetsu Yanagi, le fondateur du mouvement Mingei (Arts & Crafts japonais). Isono Harada (la grand-mère) façonnait, elle, un des meilleurs Sekishû Banshi de la région. 

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Sasaki-san me précise que lui et Satomi façonnent du Kachiji banshi, un washi plutôt local. Je demande la différence avec le Sekishû banshi (reconnu UNESCO). L'histoire du banshi et des différents domaines de la région est en fait complexe, remontant à quelques 1000 ans en arrière. Qui plus est, les frontières des anciens villages producteurs et l'histoire de l'atelier (depuis les Harada) se sont brouillées. Des rivalités entre les clans, les Hamada, les Tsuwano, le Goestu, le Oochi-gun, les noms changent au fil des époques. Ici aussi, l'isolement des montagnes semble avec un impact important dans la façon dont le washi est fabriqué. Au Japon, on trouve autant de washi qu'il y a de vallées...

Et donc, la différence du Kachiji avec le Sekishû banshi de l'UNESCO? Tout (ou presque). Sasaki-san utilise une technique de façonnage apprise auprès des artisans de Kochi, au rythme particulier bien différent des ateliers renommés comme Kubota. "Chakasu kaponChakasu kapon!" Sasaki-san se mime en train de manier le sugeta (cadre pour façonner le papier). Avec ce rythme, les fibres se croisent et s'entrecroisent en X dans la matrice du papier. Le temps passé à façonner chaque feuille est plus long mais le washi est fin et très résistant. "Avec toutes les commandes qu'ils reçoivent, ils n'ont pas le temps d'utiliser cette technique chez Kubota." Ils utilisent la technique de façonnage en nagashi classique et les fibres de kôzo s'alignent de haut en bas de la matrice de papier.

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Du coup, je trouve le Kachiji banshi de Makoto plus personnel, plus vivant. A défaut d'être connu dans le monde entier et de crouler sous les commandes, Sasaki-san a le temps de façonner un washi mature. Il essaie aussi de re-développer un fil fait de washi, comme le faisait son grand-père. Et Satomi, amoureuse des chats, confectionne les "Neko House", des panières pour matous faites de washi ultra-solide et 100% naturelles pour ne pas s'intoxiquer les moustaches. Au final, Makoto et Satomi profitent d'un héritage historique sans pression et pratiquent leur métier avec passion et amusement. Pas besoin d'agent manager.  

Après 3/4 d'heure de discussion dans la boutique, Sasaki-san me dirige à l'extérieur vers un petit jardin où il fait pousser un bon nombre de plantes qui servent à la fabrication du washi. Il y a biensûr des pieds de mûrier à papier kôzo, fraîchement coupés, ainsi que des buissons de mistumata, l'autre "arbre à papier". Je lui demande "Et le gampi ?" Il m'explique que cette plante ne pousse qu'à l'état sauvage et qu'elle ne peut pas être cultivée. Puis il me montre du nori-ustugi (lire Le Washi Udagami) qui sert de liant-colle comme le tororo aoi. Il reste des fleurs en pompons. "C'est la même famille que des chrysanthèmes ?" "Oui, c'est ça." Puis il me dit "Tu connais ça ? C'est du sane kazura. Ca sert aussi de colle comme le tororo aoi. Et ça se mange." La plante n'est plus de feuilles mais il reste un fruit comme une framboise à gros grains. Mais je ne tente pas. Je suis adminrative de ce petit jardin du washi, et des connaissances de Sasaki-san. Un artisan du washi est aussi un jardinier et botaniste...

sasaki-sekishu-kachiji-banshi-washi-shimane-papier-japonais-visite-atelier-mitsumataMistumata (Arbre à Papier)

Après cela, Sasaki-san me dirige vers la grange où lui et Satomi s'activent depuis 8h ce matin. Ils ont démarré le "sodori", l'étuvage des branches de kôzo, il y a près de 2heures; il est bientôt temps de les sortir de l'étuve. Il me promet une scène authentique avec la levée d'un dôme de 200 ans, presque comme à l'époque. J'espère alors capturer de beaux instants pendant cette occasion unique.

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