C’est loin dans les montagnes de Yoshino dans la préfecture de Nara, que se passe la fabrication du papier japonais Udagami 宇陀紙. Je me suis rendue dans le village de Kuzu no Sato (国栖の里) pour voir l’artisan Masayuki Fukunishi (正行 福西) à son travail dans l’atelier Fukunishi Washi Honpo (福西和紙本舗).
Le village de Kuzu no Sato regroupe plusieurs ateliers de fabrication d’objets traditionnels japonais tel que le papier japonais, les baguettes pour manger, de la poterie et un atelier de verre. Il y a aussi beaucoup de menuiserie, notamment pour la fabrication de tonneaux de saké.
Un papier issu du terroir
Le papier que confectionne Fukunishi-san s’appelle l’udagami. Uda est le nom du district situé le plus à l’Est de la préfecture de Nara, dans la région de Yoshino. L’udagami fait partie des Yoshino washi (吉野和紙), et est donc spécifique à cette région. C’est aussi un papier japonais singulier par plusieurs autres aspects. Et c’est avant tout les matériaux de sa composition qui en font un papier de très bonne qualité.
La pulpe de l’udagami est entièrement produite à partir du kôzo (mûrier à papier) cultivé dans la région. Pendant le trajet pour réjoindre le village, Astumi-san m’a montré les quelques mètre-carré de “champs” (hatake 畑) de kôzo qui bordent les routes. Tous les arbustes étaient déjà dépourvus de leur branchage qui avait été récolté 3 mois plus tôt (de décembre à janvier) quand la sève retombe.
Dès cette récolte, les branches sont étouffées à la vapeur pour faciliter le détachement de l’écorce. Cette écorce est ensuite nettoyée, grattée et traitée comme pour la plupart des washi. Une partie de la récolte est aussi séchée afin d’être stockée pour une prochaine utilisation (il est possible d’utiliser le stock d’une année sur l’autre).
Mais surtout, l’udagami sera façonné durant l’hiver lorsque l’eau qui descend de la montagne derrière l’atelier est la plus froide. Car pour faire un washi de haute qualité, il est nécessaire d’avoir une eau aussi pure que possible, c’est à dire à faible teneur minérale et très pauvre en composés organiques. Puis, lorsque les températures remontent en Mai, Fukunishi-san passe à la production de papier de qualité moindre.
Du fait de l’emploi de l’udagami en tant que matériel de restauration d’oeuvre d’art, le blanchiment des fibres s’effectue dans un bain de cendre de bois (kibai 木灰), et non avec un additif chimique (par exemple du chlore, comme c’est le cas dans certains ateliers). Par ailleurs, l’étape du cisaillement des fibres (qui est exécuté en batteuse à lame naginata) n’existe pas. Celle-ci est remplacée par un long battage via une batteuse mécanique puis à la main, pour préserver la longueur des fibres végétales.
Un papier issu de la nature
La principale singularité de l’udagami est l’utilisation d’un neri (colle) autre que le tororo aoi (famille des hibiscus) dont l’usage est beaucoup plus commun dans la papeterie asiatique. Est utilisée à la place, une plante de la famille des hortensias, le nori-utsugi (ノリウツギ ; 糊空木). Celui qu’utilise Fukunishi-san, est produit à Hokkaido.
La partie interne de l’écorce du noriutsugi est battue et mise à tremper dans de l’eau pour produire un mucilage, tout comme les racines du tororo aoi. C’est cette propriété qui donne son nom commun à la plante, nori (糊) se traduisant du japonais par ‘pâte’. La solution de nori-utsugi est incorporée à la pulpe de papier juste avant la confection de la feuille (kamisuki 紙漉き ; en technique tamesuki 留め漉き).
La seconde caractéristique de l’udagami est l’utilisation d’une argile blanche shiratsuchi (白土 ; que l’on semble appeler ‘terre à foulon’ en français, ou ‘bleaching earth’ en anglais). Cette argile, elle aussi incorporée dans le bac à pulpe à papier avant confection, a à la fois des propriétés blanchissantes, anti-fongiques et évite au papier de se contracter avec le temps.
L’ultime étape faisant appel aux bonnes volonté de la nature est le séchage du papier sur des planches de bois au soleil. Flanqué sur des planches que l’atelier possède depuis l’ére Edo, le papier met 1 à 2 heures pour sécher. Je pense que le séchage naturel (tenjitsu 天日) aide à garder une texture aérée, plus que lors de l’utilisation des plaques chauffantes d’un séchoir où les fibres du papier peuvent subir un choc thermique et se contracter.
Tout ce processus, qui n’emploit aucun raccourci dans la confection du papier, fait de l’udagami un papier privilégié lors de la restauration des kakejiku (掛け軸 ; kakémono). Le papier est appliqué au dos de l’oeuvre (sourauchi 総裏打ち) à restaurer et doit assurer sa longévité (quelques centaines d’années au moins).
Un papier issu de l’homme
Fukunishi-san confectionne aussi d’autres sortes de papier, dont de l’udagami sans argile utilisé pour la calligraphie ou l’impression, et de très jolis washi teints naturellement avec de l’akebi (gris), de l’armoise yomogi (vert), du mimosa (jaune) ou encore des fleurs de cerisiers (rose).
La manufacture de l’udagami remonte à près de mille ans, et l’atelier papetier Fukunishi est aujourd’hui dirigé par une sixième génération avec Masayuki Fukunishi. Pendant 30 ans, Fukunishi-san a su intégrer et retranscrire l’enseignement de son père, le « Trésor National Vivant » Hiroyuki Fukunishi (弘行 福西), à travers le façonnage d’un washi aujourd’hui prisé par les musées du monde entier.
Bien qu’il existe de nombreux washi de qualité utilisés dans la restauration d’oeuvre d’art, je pense que l’élaboration au travers des générations d’un papier pensé pour cet édifice est alors un double apport au patrimoine mondial humain, tant pour son enrichissement que sa préservation. La modestie que portent les artisans dans ce travail fastidieux mais irremplaçable est seulement exemplaire.
Le Washi Yoshino est disponible sur hariko : Washi Yoshino