Visite de Otsuka Senkojo (Kyoto), atelier d'impression de papier yuzen

Publié par Emilie EVEN le

Avant de pénétrer dans l'antre des couleurs, laissez-moi vous rappeler ce qu'est le papier yuzen. C'est un papier japonais paré de motifs japonais colorés et complexes, issus de l'industrie textile du kimono. On lui donne souvent le nom de chiyogami dont il est en fait different. Le chiyogami est un type ancien de papier décoré de motifs plus simples car imprimés à l'aide de plaque de bois gravées. Le papier yuzen, lui, est une invention récente des années 1960-70, lorsque les industriels du kimono et du papier se sont rejoints pour imprimer sur du washi les motifs qui se trouvaient sur les kimono. Les motifs sont imprimés en sérigraphie (silk screen en anglais) : chaque couleur est appliquée en forçant l'encre au travers d'un écran de nylon finement ajourée d'une partie du motif.

"Yuzen" vient du nom de la technique -par enclaves- qui a permis de peindre des motifs complexes et très colorés sur les kimono. Quant au washi sur lequel sont imprimés les motifs, cela va faire grincer les dents mais, la demande est telle que les volumes à produire sont énormes et il n'a donc rien d'artisanal. Il est composé d'un mélange de pulpe de bois et de murier à papier (non japonais) blanchi chimiquement et fait en machine pour assurer prix bas et quantité.  

Entrée de l'atelier avec Takako-san dans l'encadrure de porte de l'atelier Ostuka senkojo, fanion or et violet de Design Week Kyoto sur la droite

Kyoto étant le foyer des ateliers de teinture sur soie de kimono, il semble naturel de retrouver les ateliers qui impriment des motifs yuzen sur du washi. Il existe en effet plusieurs de ces établissements dans la région autour de la ville, mais tous ne sont pas ouverts aux visites. On peut cependant retrouver les papiers qu'ils ont imprimés dans différentes papeteries de Kyoto. Il y a quelques années, les ateliers qui faisaient l'impression des papiers yuzen étaient très secret sur leurs procédés, alors que la sérigraphie n'a rien de révolutionnaire. Mais aujourd'hui, ces ateliers ouvrent leurs portes, publient sur les réseaux sociaux et nous laissent entrevoir comment ils travaillent pour produire les superbes papiers yuzen qui nous font tant rêver du Japon. C'est le cas de l'atelier Otsuka Senkojo qui participe à la Design Week Kyoto, durant laquelle il est possible de voir et de s'essayer à certains artisanats de la ville. J'ai sauté sur l'occasion en Février 2020, réalisant ainsi mon rêve depuis que je manipule le papier japonais. 

J'ai été accueillie par Takako-san en charge de la promo de l'atelier. Elle me raconte d'abord ce qu'est le papier yuzen en montrant les grues en origami qu'elle a plié pour donner aux visiteurs (je suis la seule aujourd'hui !). Elle explique aussi que la difficulté technique pour imprimer sur divers washi n'est pas vraiment l'impression mais la façon de fixer les feuilles de papier sur les étales d'impression : trouver la colle idéale qui n'abimera pas le papier une fois celui-ci décollé. Pourquoi ? Et bien parce que ce ne sont pas exactement les memes papiers que l'atelier imprime a chaque fois. Selon les commandes de clients, le papier change et il faut savoir ajuster ses techniques. Challenge que l'atelier a récemment relevé avec succès en primauté pour pouvoir imprimer sur les fins washi unryu que l'on trouve depuis peu dans les boutiques. 

Takako-san me montre aussi les centaines de pochoirs/écran qui servent à imprimer chaque couleurs et chaque partie du motif. Il peut y en avoir jusqu'a 10 par motif. Les motifs imprimés à Otsuka Senkojo sont dessinés par des studio de designs, l'atelier s'occupant seulement de l'impression. Certains imprimeurs ont aussi la responsabilité de varier les compositions de couleurs pour un motif. Il y a la place pour de la créativité donc ! En face des pochoirs, sous les étales d'impression s'alignent aussi des dizaines de seaux contenant les encres confectionnées pour l'impression. En fait d'encre, je devrais dire peinture tellement l'encre est épaisse. 

D'ailleurs, ces peintures sont partout. La couleurs aussi malgré que le hangar qui sert d'atelier soit sombre. Aux pieds, des taches constellent le sol. Dans la partie où sont entreposés les encres et poudres colorées, c'est aussi scintillant de ce doré chimique qui fait la fierté des artisans du yuzen (oui, imprimer une belle couleur or est, semble-t-il, difficile). Mais surtout dans l'air : tout l'atelier sent la peinture - et le solvant. Je ne peux m'empêcher de penser que travailler 8h par jour dans cet endroit n'est pas forcément une bonne chose pour la santé.

Un homme travaille à encrer les dizaines de feuilles sur les étales. Il commence par poser le cadre du pochoir sur une premiere feuille, remplit de peinture le bac de réserve au pied du cadre. Avec un racloir, de haut en bas il étale la peinture sur toute la surface du pochoir en un geste ferme et habitué. Puis il lève le pochoir, le place avec précision sur la feuille voisine et de nouveau, étale la peinture. Et recommence. Le geste est répété 25 fois sur la rangée. Puis sur la rangée d'en face. Le temps de faire toutes les feuilles, la peinture sèche et on peut appliquer la couleur suivante. Une fois l'écran utilisé, il est de suite nettoyé dans une machine a jet et frotté à l'éponge, puis séché et rangé.

J'étais sceptique sur le côté artisanal du papier yuzen, la matière papier ne l'étant pas et la technique de sérigraphie ne faisant pas partie des "arts traditionnels" de Kyoto. Mais cette visite en atelier m'a montré que le travail d'impression ne peut pas être mécanisé - pas tout de suite du moins. De plus, la sérigraphie est une réelle performance artistique et un savoir-faire que j'avais déjà pu admirer chez Ann et Stéphane de Pappus Editions (https://www.pappus-editions.com/fr-jp/collections/nathalie-bihan). La maîtrise du geste et l'expérience sont indispensable pour réaliser l'impression conforme à l'oeuvre originale. Si, pour le papier yuzen, le métier est récent comparativement à la teinture sur kimono qui a quelques siècles d'avance, on peut lui souhaiter une longue prospérité qui fera grandir la fierté des gens qui produisent ces petits trésors colorés. Un jour peut-être, ceux-ci rejoindront-ils les "arts traditionnels" de Kyoto. 

 

Papiers yuzen de chez Maruyama Senko disponible sur Hariko 

 

motif japonais kikko jaune et grismotif japonais fanion jaune et orange rouge violet motif japonais fleur campanule jaune et orange violet

 

Pour ceux qui veulent savoir plus, Otsuka Senkojo pour Kyoto Design Week Kyoto : https://designweek-kyoto.com/opensites/2407/ 
Interview de Takako-san https://www.youtube.com/live/V1APzCZqBgA

 

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