Lire la partie 1 sur le yukizarashi, blanchiment des fibres a papier sur la neige.
Sur les deux jours passés dans les préfectures montagneuses de Niigata et Nagano, j'ai consacré ma première visite chez Satoko Ueno, une artisane qui façonne le washi de Uchiyama dans son atelier Kamisuki-ya. A la fois atelier et boutique, l'établissement s'appelle aussi "Uchiyama Tesuki washi Taiken no Ie" car on peut s'essayer à faire du washi (taiken = initiation) avec Ueno-san.
Après 30 min de voiture à travers des montagnes encore enneigées, nous arrivons au village de Kijimadaira se trouve l'atelier. Ueno-san m'accueille chaleureusement, elle a un sourire tout naturel. Je suis accompagnée dans ce voyage par ma mère et mon fils d'un an mais qui court déjà partout. Ueno-san me montre un panier plein de jouets pour enfants pour l'occuper un peu. Beaucoup de visiteurs de la boutique sont des familles en vacances à Nozawa-onsen, la station de ski thermale voisine très connue, à deux stations de train de l'atelier.
Et Ueno-san parle anglais ce qui est très pratique car il y a souvent des voyageurs étrangers venant à Nozawa. Ma mère voulant faire l'initiation au washi, je m'occupe de mon fils en attendant. Après le taiken de 30 min, Ueno-san me fait faire le tour de l'atelier et montre les papiers de sa boutique. Il y a de couleurs et de lumières partout, mais aussi d'énormes sphères comme des lunes, pendues au plafond pour finir en luminaires.
Ueno-san me montre aussi un washi tengujo. Les tengujo sont des papiers extrêmement fins qui servent surtout à la restauration d'oeuvre d'art. Celui que fait Ueno-san est incroyable léger, on distingue très nettement chaque fibre de kozo qui le compose. Du washi épais pour faire des hariko au washi le plus fin possible, la gamme de papier que fait Ueno-san est presque infinie !
Ueno-san retourne dans l'atelier où elle fabrique le washi qu'elle vend. Le kôzo qu'elle utilise est récolté dans les villages environnants. C'est un travail collectif des volontaires. Et pour le yukizarashi, le blanchiment des fibres sur la neige ? Après la dépouille du kôzo, et lorsque les premières grosses neiges arrivent, les fibres sont étalées et laissée à blanchir pour la journée. A l'extérieur de l'atelier sur les lanières de kôzo mises à sécher, on peut voir clairement la différence entre les fibres ayant subi le yukizarashi ou non.
(Photo par Ueno Satoko - 2019)
Le washi "kizuki" (100% kôzo) Uchiyama est d'un blanc très tendre dont la couleur ne change pas avec le temps qui passe. Ce qui en fait un excellent papier de panneau coulissants "shoji", et ce depuis l'époque Edo. L'origine du washi de Uchiyama n'est pas confirmé, mais il est possible que la technique de fabrication fut introduite auprès des tribus montagnardes par le samouraï Hagiwara Gizaemon vers 1661 (début de la période Edo).
Gizaemon était protecteur de la famille Asano qui avait des terres à Mino (Gifu), un des berceaux du washi. C'est sans doute en revenant d'un pèlerinage d'Ise via Mino que Gizaemon aurait rapporté la technique de fabrication du washi dans la région de Uchiyama où il a choisi de s'installer. A Mino, la pratique du kawazarashi (blanchiment en rivière = kawa) a longtemps été pratiquée par les artisans de Mino. Mais je ne saurais dire si cela a été transposée pour une pratique sur la neige. Dans d'autres régions très enneigées du Japon comme Niigata, le yukizarashi est aussi pratique pour le washi et aussi pour des teintures de tissus.
Ueno-san a appris à faire du washi auprès d'autres artisans après un apprentissage basique dans une université de Tokyo. Je lui demande si elle connaît Kobayashi de l'atelier Kadoide washi que je visite le lendemain. "Oui, bien sûr ! J'ai appris avec lui aussi. Tu lui diras bonjour de ma part." L'artisanat du washi se fraie facilement un chemin le long des vallées de Gifu (Ueno-san connait aussi Takahashi-san) à Niigata en passant par Nagano.
Ueno-san remonte devant son sukibune, l'énorme bac dans lequel elle façonne son washi. Elle fait quelques feuilles et je prends des photos de ces gestes que j'ai vu des centaines de fois chez tant d'autres artisans. Puis elle me demande : "Est-ce que tu veux essayer?" J'ouvre des grands yeux (je crois qu'ils brillaient de milles éclats) "Faire une feuille dans le bac?" "Oui, essaye. Tu sais comment faire ?" "Euh, non, enfin, vaguement, j'ai juste regardé faire." Elle me dit de prendre sa place et me donne quelques informations sur les gestes. "Tu pousses ça, ça, tu plonges tout droit le sugeta (tamis de façonnage) et tu remontes vers toi." Je m'exécute.
"Mais c'est très lourd ! Ca fait mal au dos!" "Oui c'est lourd, il faut que tu laisses le poids sur les cordes. Maintenant agite d'avant en arrière et droite à gauche." J'essaie de reproduire ce qu'elle faisait quelques minutes auparavant, mais j'ai l'impression d'être gauche. Le résultat n'est pas glorieux, ma feuille est pleine d'irrégularités et de trous; les fibres encore fraîches retourneront dans le bac. Le maniement du sugeta n'est vraiment pas simple à cause de son poids, il faut être très équilibré sur ses pieds. Je comprends un peu mieux pourquoi les artisans semblent si stables quand ils façonnent.
Nous repartons de l'atelier avec des trésors de washi. Le washi yukizarashi de Ueno-san est un papier à la tenue impeccable pour des impressions, des encrages ou le papier marbré suminagashi (d'après les essais de l'artistes Livia Gnos https://www.instagram.com/liviagnos/ ). Malgré un washi imprégné du froid de l’hiver japonais, sa douceur et la chaleur qui en émane est vraiment à l’image de Ueno-san. Le washi comme un miroir des artisanes et artisans.
(lien vers ce papier japonais)