Parmi les trois plantes à papier japonais, le gampi (雁皮) est celle dont on parle le moins. C’est pourtant la splendeur du papier gampi (gampi-shi) qui a séduit les Portuguais évangélisateurs arrivés au Japon au 16e. Façonné depuis l’époque Heian, le gampi-shi est un washi très noble et délicat, dont la texture extrêmement fine est prisée des artistes graveurs et photographes.
La raison de la rareté de ce washi réside dans le fait que la plante ne se pousse qu’à l’état sauvage dans les conditions spécifiques d'un sol pentu et bien drainé, et seulement quelques régions montagneuses ensoleillées du Japon (Okayama, Ishikawa, Shizuoka ou Yamanashi).
J’avais eu l’occasion de façonner un papier fait à partir de gampi lors d’un atelier public à Najio (près de Kobe), un des derniers villages où l’on fabrique des papiers gampi. Malgré cela, le gampi restait une plante mystérieuse, et je n’avais vu jusqu'alors qu'un arbuste dépouillé lors de ma visite chez Sasaki-san (Kachiji-banshi) à Shimane. C’est au hasard de mes recherches sur la plante que je suis tombée sur un poste instagram proposant un atelier public sur le gampi, à une date proche dans une préfecture proche. Très belle occasion d’en savoir à nouveau un peu plus sur le gampi !
L’atelier était proposé par Mika HORIE, une artiste photographe qui travaille des cyanotypes, un procédé ancien de photographie utilisant des produits photosensibles à base de fer. Elle fabrique elle-même son gampi-shi qu'elle utilise pour imprimer ses compositions inspirée de la nature. Son travail est très organique. Mika était en showcase à la papeterie Kamiji Kakimoto (Kyoto) durant Kyotographie 2019. Et elle a aussi exposée en Juin/Juillet à Paris (pendant que j'y étais) et Arles.
J'avais malheureusement manqué ces 2 événements. Mais le hasard faisant bien les choses, je participais donc à son atelier de gampi-shi. J'avais vraiment hâte de la rencontrer et d'en apprendre plus sur le gampi grâce à cette rencontre. Beaucoup de sensibilité et de nature semblait émaner de Mika et son travail. C’était aussi une très belle occasion de visiter la préfecture d’Ishikawa et la péninsule sauvage de Noto. Il est dit que la cuisine de Noto est un des plus délicieuse du Japon.
***
J’ai passé la première nuit dans un hôtel à Yamashiro près de Kaga, et profité des onsens toute la soirée. Le vieux bain public Koso-yu à l’architecture de bois est accessible depuis l’hôtel. J’étais seule pour profiter de cette atmosphère début du siècle dans une salle qui sentait bon le pin. L’atelier avait lieu le lendemain matin dans le village voisin de Komatsu. Arrivée sur place, Mika m’a chaleureusement accueillie et nous avons commencé l’atelier.
Après une petite introduction au washi et la place du gampi dans la région d’Ishikawa, les participants se sont attelés à la dépouille du gampi. C’était la première fois que je voyais comment faire. Contrairement au kôzo ou au mitsumata, le gampi récolté ne passe pas à l’étuve pour séparer l’écorce du bois. Cela est fait directement après que la plante eût été coupée et avant que l’écorce ne sèche.
Cela évite du travail d’étuvage direz-vous. Mais c’est sans savoir qu’après cela, il faut tirer les fibres qui feront la pulpe à papier presque une à une de l’écorce. Et c’est là que le travail devient fastidieux car les branches de gampi sont assez fines avec des noeuds qui rendent cette tâche difficile. C’est un travail long mais rendu tout doux par le toucher des fibres du gampi. Comparées à celles plus rustiques et plus longues du kôzo, ces fibres sont comme de la soie et forment un duvet nacré au creux de l’écorce.
Tout en bavardant, nous tirons les fibres pendant 40/45 min pour un résultat finalement assez maigre. Mais Mika nous dit que nous avançons vite et bien pour une première expérience ! Ce ne sont pourtant pas ces fibres que nous utiliserons pour la suite. Comme pour le kôzo et le mitsumata, il faut “cuire” les fibres après le dépouillage et retirer à nouveau les impuretés restées avant de pouvoir en faire de la pulpe à papier. Tout cela prendrait quelques jours, alors Mika nous sert des fibres déjà prêtes que nous allons passer au battage.
Après une petite concertation entre participants, nous décidons de faire une pulpe à papier avec fibres longues et courtes. On se met à la tâche en frappant les fibres mouillées au maillet plus ou moins fort et longtemps. Depuis le début de l’atelier, je m’émerveille sur la douceur des fibres du gampi. En les tenant entre les doigts et en les frappant, on peut sentir à quel point celles-ci sont bien différentes du kôzo.
Le battage terminé, Mika récupère les fibres et les mélange dans le bac de puisage. Elle est très étonnée de la pulpe produite de la collaboration entre participants, à la fois fine et consistante. Elle nous explique qu’il n’y a pas besoin d’utiliser de “neri”, un mucilage (comme le tororo aoi) qui aide à la formation de feuille de washi. Les fibres du gampi sont tellement fondantes (toromi) que celles-ci flottent librement sans retomber au fond du bac. Alors que la main de Mika disperse délicatement les fibres dans le bac, on se rend bien compte de cette caractéristique.
Chaque participant puise sa feuille de gampi avec plus ou moins d'habileté, selon les explications de Mika. Mika trouve captivant les motifs de vague apparus sur nos feuilles, qui sont pourtant le reflet d’un façonnage loin d’être maîtrisé. “Mais c’est une texture intéressante si le papier devait recevoir une photographie.” Je lui demande si elle essaie de matcher ses photo avec les papiers qu’elle a façonnée. “Cela dépend mais effectivement, j’essaie de trouver une harmonie entre le sujet et la texture du papier.” répond-elle.
***
Je reçois mon washi quelques jours plus tard des mains de Mika venue en visite à Kyoto. Mon papier est quelconque mais la douceur et le lustre nacré qui s’en dégage sont exceptionnels. Le son aussi, claquant et sec. Je comprends pourquoi le gampi-shi était alors si prisé de la noblesse japonaise et a su éblouir beaucoup d’Occidentaux. La visite de Mika est une nouvelle occasion d'en savoir d’avantage sur son travail. Nous nous rencontrons au café ‘mememe’ qu’elle affectionne pour discuter de son intérêt pour la photographie cyanotype et son choix de travailler le gampi. A suivre...
Beau résumé du procédé de fabrication du gampi-shi. J’ai eu l’occasion de travailler avec Mika dans son atelier à Kaga au mois de mars dernier, puis de faire des cyanotypes avec elle. Très belle expérience!