Le Washi Yokono (Ueda Tesuki Washi)

Publié par Emilie EVEN le

(NB La qualité des images de cet article sont médiocres pour je ne sais quelle raison et sans que je puisse y remédier)

 

J'aime beaucoup échanger avec les clients, surtout s'ils me donnent un feed-back sur les papiers qu'ils ont reçu de Hariko ou pour des questions sur les ateliers. Ce fut le cas lorsque l’artiste Livia Gos m'a contactée et parlé avec enthousiasme d’un atelier visité à Tsuyama dans la préfecture d’Okayama.

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Piquant ma curiosité, une ou deux recherches m’ont aiguillée vers l'atelier Ueda spécialisé dans la fabrication du papier de mitsumata, une des trois plantes avec lesquelles le washi est fait. Pas étonnant car Okayama est une des régions où le mitsumata pousse en abondance ; est d’ailleurs réputé dans tout le Japon le papier à lettre mitsumata de Bicchû 備中 (ancienne province de l’ouest d’Okayama, voisine de l'ancienne province Mimasaka où se trouve Tsuyama et dont le washi était déjà mentionné dans les Chroniques du Japon ...vous suivez ?).

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Le hakuaishi

L’atelier Ueda est aussi très connu car c’est le dernier du Japon qui fabrique un washi important pour l’artisanat de dorure à la feuille kinpaku: le hakuaishi 箔合紙, littéralement le papier (紙) entre (合) les feuilles d’or (箔) que l’on utilise pour leur conservation/entreposage. Ce hakuaishi est un washi très fin et lisse pour ne pas meurtrir les feuilles d’or qu’il recueille avant leur utilisation. Non blanchi, avec une teinte jaune crème, il est séché naturellement dans la pénombre de l’atelier sur des planches en bois de cryptomère japonais sugi. Sur ces planches hautes de 2 m et marquées par des années d’utilisation, parfois s’imprime sur le papier le relief des nervures du bois, comme un filigrane apposé par l’artisan. 

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C’est drôle car j'étais allée quelques mois auparavant dans la préfecture d’Ishikawa très réputée (avec Kyoto) pour son artisanat du kinpaku. J’y avais dégusté une glace recouverte d’une feuille d’or. Voyant la serveuse détacher la feuille d’or d’un carré de washi, je lui ai demandé de me donner ce carré (elle n’avait pas bien compris ma demande inattendue). Après ma visite à l’atelier Ueda, j’ai comparé chez moi le washi Ueda et ce carré précieusement conservé pour observer qu'effectivement, c'était bien les même washi ! 

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Le washi bengara

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Un autre washi de l’atelier Ueda, et tout autant en lien avec les ressources naturelles d’Okayama, m’a aussi attiré : le washi bengara (弁柄・紅殻). Bengara est le nom japonais de l’ocre rouge, un pigment d’oxyde de fer utilisé comme colorant depuis la préhistoire (dessins de la grotte de Lascaux !). Le village de Fukiya situé aussi dans l’ancienne province du Bicchû à 50km de l’atelier Ueda, était l’un des principaux lieux de production du bengara au Japon. Depuis 1705, le site produisait un bengara rouge à partir de minerais extraits de la mine d’argent du village.  

Pour en avoir eu mis dans la Washi Box, je connais un peu le washi bengara dans les teintes de rouge-rose, ainsi que le fait que le rouge auspicieu soit couramment utilisé pour peindre les temples et les anciennes maisons japonaises. A Kyoto, nombres de machiya ont des bengaragoshi (紅殻格子), des devanture en bois peintes de bengara (et jus de kaki) qui couvre une gamme de couleur allant du rouge vermillon au violet brun. La vibrance du bengara est aussi prisée des artisans potiers de Kutani, Arita et Kyoto. Lors de cette visite, j’ai donc été surprise de découvrir des washi bengara jaunes et verts ! Pourtant la géochimiste que je suis aurait dû se souvenir que le fer peut être rouge, noir, mais aussi jaune ou rouge.

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L’atelier Ueda Tesuki Washi

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J'arrive à Tsuyama la veille au soir. Etant en Février, j’ai pensé pouvoir assister au kawazarashi, le blanchiment des fibres dans les eaux pures de la petite rivière Yokono qui sillonne dans le village Kami-Yokono (上横野) au nord de Tsuyama. Malheureusement, la pluie de la veille a brouillé la rivière en plus de travaux qui y sont effectués. Pas d’eau pure, pas de kawazarashi, tant pis. Comme je suis en avance, je vais voir les trois belles cascades en amont, une des attractions naturelles de la vallée de Yokono. Il n’y a bien sûr personne, seul le remous des eaux gonflées par les pluies s’entend.

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En revenant à l’atelier, je suis accueillie par Shigeo Ueda, 6e génération de l’atelier Ueda établi depuis le début du 19e. Travaillent aussi dans l’atelier sa femme Junko, leur fils Kôshô et sa femme (j’ai oublié son nom !!). Je pense que l’artisan Shigeo doit avoir un peu plus de 75 ans, et c’est principalement les femmes et le fils qui exécutent la majeure partie des travaux. Les activités de cette matinée sont le décollage/ encollage du washi sur les planches de séchage et le façonnage de papier. Je parle principalement avec Shigeo-san dans le bureau de l’atelier, une pièce qui sert aussi de boutique avec des dizaines de washi mitsumata et bengara en exposition : un camaïeu de rouge, rose et gris, une ambiance rose poudré très cosy mais aussi un peu poussiéreuse et désuète. Il y a un vieux téléphone à touche, un ordinateur qui doit avoir au moins 20 ans et des murs défraichis par le temps. 

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Junko m’apporte très gentiment un café et j’interviewe Shigeo-san sur l’atelier, le mitsumata, son savoir-faire et son approche de l’artisanat. Comme beaucoup d’ateliers historiques, il a hérité celui-ci de son père bien que pendant longtemps, il ait refusé de devenir artisan de washi. Il ne cache pas ce fait, probablement parce qu’il a, au final, appris à aimer le washi et en a fait avec un geste sincère toute sa carrière malgré ses doutes. Je lui demande si la maison en face qui a aussi un chaudron sur le devant est aussi un atelier de washi. Il me répond que non, l'artisan qui faisait aussi du hakuaishi a cessé il y a 10 ans, faute de successeur. 

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Shigeo-san est très ouvert à l'idée de faire la promotion du washi. C’est surement pour cela qu’il accueille volontiers des visiteurs venu faire un taiken* (*voir plus haut) et acheter du papier. Comme d’autres artisans, il fait le constat que le washi n'intéresse plus les Japonais, que certains n’en connaissent même pas l'existence. Il me dit que les Japonais se rendent compte de la beauté du washi lorsqu’ils voyagent à l'étranger, et qu’ils achètent du washi une fois de retour au Japon ! L’avenir est en dehors du pays et le washi doit se renouveler pour toucher plus de gens. “Mais les Japonais sont très mauvais pour faire de la promotion” (sic!). Je lui dis que la promotion du washi, c’est exactement ce que j’essaie de faire et ce pourquoi je suis ici aujourd’hui, il me remercie. 

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Après la discussion, je lui demande s’il peut me faire le tour de l’atelier. Il m'emmène au fond de l’atelier où Kôshô, son fils est absorbé dans le façonnage de hakuaishi. Sur fond de radio diffusant de la pop moderne, Kôshô-san enchaîne les puisage, tamisage, re-puisage, couchage, ouverture, fermeture du sugeta, le cadre à tamis. J’ai compris que c'était le seul à faire le papier, il est occupé, concentré à faire le quota du jour. J’ose à peine lui dire bonjour pour ne pas casser le rythme. Mais je le mitraille de photo. Quelle indélicatesse de ma part. 

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Puis, je passe dans la pièce suivant ou Junko étale des feuilles encore humide de hakuaishi avec un rouleau. Elle me sourit mais elle reste concentrée elle aussi sur l’ouvrage. Dans la principale ou s’entassent les planches à sécher, la femme de Kôshô s’adonne au même ballet rythmé. Sur la face d’une planche à sécher, elle décolle un coin de chaque feuilles de hakuaishi, les décollent entièrement dans un son crépitant, se retourne et les place sur la pile, saisir une feuille humide, la souffle sur la planche, en saisit une autre puis encore une, attrape sa brosse de crin, finit d'aplanir les feuilles sans un pli et entasse la planche dans un rang. 

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A quelle cadence et combien de fois les gestes de chacun sont-ils répétés dans le seul atelier qui fabrique un washi indispensable pour l’artisanat kinpaku ? L’atelier est vraiment vieux, poussiéreux, si peu modermisé. Il semble qu’il n’y ait pas assez de temps pour faire de la modernité. Quand d’autres lieux ont pu monter une page internet, avoir un email de contact, c’est qu’il y a quelqu’un qui a su trouver le temps pour le faire. Pourtant Shigeo-san est très enclin à cette ouverture moderne. Alors, que faire ? C’est difficile de poser toutes ces questions délicates pour une première visite, j’ai déjà reçu beaucoup aujourd’hui. 

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D’ailleurs Junko me donne un gâteau “pour la route”, ainsi deux pots de myosotis/ wasurenagusa (l’herbe du souvenir) qui fleuriront magnifiquement un mois plus tard. Juste avant de monter dans la voiture, je remarque deux pieds de mitsumata qui fleurissent différemment. “Oui, celui à grosse fleurs, c’est un pied originaire de Chine, celui avec les petites fleurs, c’est un pied japonais” me précise Shigeo. Même à la dernière minute, j’apprends encore.

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Je dois vraiment revenir, les washi façonnés dans l’atelier Ueda sont uniques et ma visite trop courte. D’ailleurs la région est belle et Tsuyama n’est pas dénuée de charme. Il y a un joli quartier de l'ère Meiji du début 20e., et les ruines du château (qui a une tourelle joliment rénovées) sont connues pour les magnifiques cerisiers en fleur. Sans parler des tous les autres attraits de la préfecture d’Okayama… Si vous y venez, passez à l’atelier d’Ueda-san !

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1 commentaire


  • Merci… très bel article. Plein de sensations…

    Livia Gnos le

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