Partie de la constatation que la plupart des ateliers que j'ai visité appartenait à des hommes, je me pose la question depuis plusieurs semaines: quel rôle jouent les femmes dans l'artisanat du papier japonais ? Quelques lignes sur ce que j'observe.
A l'heure où l'inégalité homme-femme au travail au Japon est souvent évoquée (se référer à la "Womenomics"), le problème ne se pose a priori pas dans le secteur de l'artisanat washi. La proportion de femmes est aussi égale que celle des hommes, et bon nombre d'entre elles sont à la tête de leur propre activité.
Aya Kubota (gauche - Sekishu Kubota Washi) et Mayumi Takahashi (droite - Kamisuki Takahashi)
Pour le cas d'un atelier familial, c'est fréquemment le schéma du couple homme-femme qui exerce l'activité. Et bien souvent, l'homme est l'artisan principal, c'est à dire celui qui a appris à fabriquer le washi. Mais la présence de femme est quasi-constante, et cela, à toutes les étapes de la fabrication du washi.
C'est ainsi par exemple pour l'atelier Fukunishi Hompo, où, excepté pour le façonnage du papier produit par l'artisan reconnu Masayuki, Hatsumi, sa femme, procède à la récolte des plantes à papier, la dépouille, la cuisson des fibres etc. jusqu'à la vérification de la qualité des papiers commandés. Mais sans aucun soucis, Hatsumi sait aussi façonner le washi !
Hatsumi Fukunishi
J'ai aussi pu observer que la répartition de tâches se fait aussi en fonction du travail physique. Chez le couple Okuda de l'atelier Shoroku, l'artisan Yoshiharu étuve le mûrier, un travail en extérieur à soulever les fagots, tandis que Emi s'occupe de l'étape du grattage/nettoyage des fibres dans l'atelier. Mais tout deux travaillent côte à côte à la dépouille quand les fagots sortent de l'étuve. L'intérêt de travailler en postes variés permet de gagner du temps sur la préparation des fibres pour la pulpe à papier.
Yoshiharu Okuda et Emi Okuda
Il existe aussi des ateliers où l'homme et la femme façonnent le washi. Chez le couple Sasaki, Satomi et son mari Makoto produisent tout deux les washi de l'atelier, mais chacun façonne des papiers différents. Makoto étant l'artisan héritier, c'est lui qui façonne le washi d'appellation locale. Lors du "sodori" (ou kôzo mushi), mise à l'étuve des plantes, le maniement de la cuve à étuve requiert au moins 2 personnes. Satomi sort alors les muscles pour cette opération.
Satomi Sasaki (Sekishu Kachiji Banshi) lors du "sodori", étuve des branches de kôzo sous cloche.
Dans les ateliers plus importants où plusieurs artisans travaillent, on peut compter autant de femmes que d'hommes à fabriquer le washi. A Gokayama Washi par exemple, la production de washi est assurée par autant d'hommes que de femmes. Il en est de même chez Awagami Factory, une très grosse papeterie qui fournit le monde entier. La mixité des équipes de fabrication montre que le façonnage du washi n'est pas un apanage masculin.
Ainsi la représentation féminine dans l'artisanat du washi trouve naturellement sa place. La raison est peut-être due aux origines paysannes de l'artisanat, quand chaque maison fermière (ou presque) produisait du washi en hiver en attendant le retour du printemps et la reprise des travaux agricoles. La manufacture du washi comme ces travaux requerraient le labeur d'un famille, voir d'une communauté - il n'est pas rare d'observer la réunion d'habitants d'un village pour procéder à la récolte ou la dépouille du kôzo, par tradition.
Au niveau de la représentation de l'artisanat du washi sur la scène mondiale, on pensera d'abord artisan et non artisanE. Sauf qu'il n'en est rien car beaucoup de femmes produisent des papiers d'une qualité extraordinaire. Et au récent symposium sur le washi artisanal qui a eu lieu à Mino (Gifu) en Octobre, 2 des 3 artisans représentant les trois washi inscrits à l'UNESCO étaient des femmes. Donc, good job aux organisateurs pour avoir choisi ces profiles.
Makiko IWANO - Présidente de la Papeterie Iwano Heizaburo
(Photo : Fukui Shimbun)
Et même si la manufacture du washi n'est pas un métier facile, je pense qu'aucun des artisans et artisanes n'en dit que c'est un métier d'hommes. D'ailleurs, la légende du washi au Japon relate que c'est une femme chinoise ou coréenne qui aurait appris aux habitants d'Echizen, un des berceau du washi, à faire produire le papier à partir du mûrier kôzo. Cette figure est aujourd'hui vénérée comme la déesse du papier.
Quelques femmes artisane du papier japonais washi à suivre sur Instagram :
https://www.instagram.com/kamisuki.takahashi/ - Mayumi Takahashi
https://www.instagram.com/kaminntyu/ - Yuki Matsuo
https://www.instagram.com/satomiiga/ - Satomi Sasaki
https://www.instagram.com/yukari__sato/ - Yukari Sato
https://www.instagram.com/washi_letal/ - Naoko et Satomi
https://www.instagram.com/kmy_sakuzen/ Naoko Shibuya
https://www.instagram.com/yanagawa_azumi/ - Azumi Yanagawa