J’ai beau avoir fait 3 voyages du sud au nord, et habité depuis 5 ans au Japon, il y a encore beaucoup de préfectures dans lesquelles je n’ai pas encore posé les pieds ! Comme par exemple Tottori. Mais ce manque est maintenant comblé car j’ai suivi Joranne (illustratrice de talent) dans un petit bout de son périple le long de la côte San-In.
Voyant se profiler l’occasion de découvrir de nouveaux papiers, je suis partie à la recherche d’ateliers de washi dans la région où nous nous rendions. Je me doutais qu’il y en aurait car la préfecture voisine, c’est Shimane et son Sekishû washi qui devenu un mastodonte du papier japonais en même temps que le Hon-Mino et le Hosokawa, après leur inscription en tant que patrimoine culturel intangible de l’UNESCO en 2014.
A 3 stations de train d’où nous logions, il y a la ville – ou plutôt les villages – d’Aoya, une des deux régions où est fabriqué le washi Inshû. Inshû, ou plus couramment Inaba, c’est l’ancien nom d’une des provinces qui forment aujourd’hui la préfecture de Tottori (si vous voulez un peu mieux connaître cette magnifique préfecture, je vous recommande le blog Hibi no Yorokobi). Et quand je dis ancien, ça remonte à l’époque Nara, c’est à dire au 8e siècle !
Le Washi Inshû
D’ailleurs le washi Inshû remonte lui aussi à cette même époque, alors utilisé pour les registres gouvernementaux puis comme papier officiel de la Cour impériale durant la période Heian (8e-12e). Les premières productions de washi Inshû correspondraient donc à l’époque durant laquelle le papier fut introduit au Japon.
Depuis cette époque, les artisans de la région ont perfectionné leur technique pour produire un washi d’excellente facture. Le washi Inshû fut en effet le premier washi reconnu par le gouvernement japonais comme papier d’artisanat traditionnel. Le washi Inshû est produit à Aoya, principalement à partir du mûrier à papier kôzo, et à Sagi où le mitsumata est plus répandu.
Le washi de mistumata produit à Sagi est un papier privilégié par les grands calligraphes du Japon, du fait de sa texture extrêmement lisse qui permet une calligraphie fluide et uniforme. Quant au Gasenshi Inshû, un washi de kôzo produit mécaniquement à Aoya, celui-ci compte environ 60% à 70% de la production de washi pour calligraphie ordinaire.
Ce qui est intéressant à observer est l’effort conscient qu’ont mis les artisans pour adapter leur production aux besoins d’aujourd’hui. Beaucoup d’ateliers ont ainsi choisi de mécaniser leur production pour augmenter les quantités et proposer un washi de qualité à des prix abordables. Papier pour shôji (fenêtre coulissante), fusuma (porte coulissante), courrier, loisirs créatifs, décoration d’intérieur ou calligraphie, le washi Inshû est avant-tout dédié à un usage quotidien. Mais s’il est besoin d’un papier de qualité supérieure (calligraphie, documents officiels, restauration d’art), il existe encore quelques atelier de tesuki washi (washi fait à la main) à Sagi et Aoya.
L’atelier Hasegawa
L’objectif principal dans ma recherche d’ateliers de tesuki washi est la communication au grand public (vous, cher lecteurs ;) ) à propos d’un artisanat en dépérissement (et je pèse mes mots). Celui du washi Inshû subit lui aussi un déclin prononcé, avec la disparition de sa facture manuelle. Bien sûr, la mécanisation de la production retarde tout cela, mais depuis son atelier à deux bacs et un teppan (plaque chauffante sur laquelle séche le washi), l’artisan Hasegawa Norito voit chaque année ses collègues fermer le leur.
Hasegawa-san fabrique du washi Inshû de façon traditionnelle depuis 35 ans, dans l’atelier – et le savoir-faire – hérité de son père. Ici et dans les étages de la maison s’entassent des stocks de papier qui ne se vendent pas, ou peu. J’ai les yeux qui brillent, c’est beau toutes ces textures, ces couleurs. De vrais trésors ! Je me trompe. « Taberarenai. » me dit-il. « On ne peut pas gagner sa vie en fabriquant du washi à la main. » C’est direct, lucide. Autour du kotatsu et un thé vert fumant, on évoque ce qu’il y aurait à faire, le manque de structure coopérative, les barrières de la langue, de la logistique, des banques. Tant à revoir.
Bien sûr, il reçoit quelques commandes japonaises à l’année. Je lui demande s’il vend du washi en dehors du Japon. Oui, un peu. Il en vend à un artiste espagnol et une distillerie anglaise de whisky. Cette opportunité, c’est grâce à un ami japonais là-bas qui a proposé à la distillerie d’imprimer ses labels sur du papier japonais. Le reste est de la vente à des musées ou artistes japonais. Pourquoi donc si peu? « Désolé, je ne parle pas anglais ! » dit-il en mimant un téléphone raccroché brusquement. Et une boutique en ligne ? « Je n’ai pas le temps. C’est prend déjà beaucoup de temps de fabriquer le papier des commandes, puis l’envoyer. Alors une boutique en ligne en plus… »
Hasegawa-san travaille avec Yutaka, son fils d’une trentaine d’années, et bien sûr Kyoko, sa femme. Yutaka a choisi d’apprendre à façonner le washi Inshû après des études en chimie. Pourquoi? « J’apprécie la culture traditionnelle. » Mais, tu vas reprendre l’atelier de ton père? « Je ne sais pas. » Yutaka est moins loquace que son père, et mon japonais maladroit n’aide pas. Mais je comprends qu’avec un gain minimum et des journées intenses et physiques, le fun cède la place au doute.
Le manque de bras, le manque de temps, le manque de clients. C’est pas très motivant tout ça ! Après ces échanges, je dois poursuivre ma journée au grand atelier public AOYA pas loin. Yutaka m’emmène. On se quitte sur un « Gambatte » (« Courage, fais de ton mieux ») mutuel, lui pour ne pas laisser tomber le tesuki, moi pour parler aux gens de son boulot. Les papiers de Hasegawa sont beaux, je n'ai plus qu’à le crier sur les toits. Puis, convaincue plus que jamais dans mon projet Hariko, je rentre à Osaka motivée à bloc ! Gambarô!
Les papiers de l'artisan Hasegawa sont disponibles sur Hariko : Washi Inshû